Saviez-vous que les indiens Kali’nas, dans leurs berceuses, font référence à leurs enfants tels des bébés tortues waya:minĝ membo qui doivent apprendre à survivre sans leur mère comme le font les tortillons à peine sortis de leur nid affrontant les dangers de la plage et des océans ? Ou encore, que, sur le ton de la blague, les pêcheurs disent reconnaitre les œufs portant des individus mâles à leur forme oblongue (on se gardera de supposer pourquoi !) tandis que ceux portant des femelles seraient plutôt sphériques ?
Cette appropriation de la nature se traduit également quant à l’exploitation alimentaire, observée dans les années 70, que faisaient les Kali’nas des tortues marines. Les auteurs ont notamment constaté le fait que les Kali’nas, si ils consommaient très volontiers les œufs, ne consommaient que très rarement les adultes (l’article cite à ce sujet qu’à l’époque de sa rédaction la législation guyanaise de 1969 interdisait la capture des tortues adultes, ainsi que le ramassage, le colportage, la vente et l’achat d’œufs entre le 1er mai et le 31 juillet. Aujourd'hui, et pour information « la destruction ou l’enlèvement des œufs et des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la naturalisation ou, qu’ils soient vivants ou morts, le transport, le colportage, l’utilisation, la mise en vente, la vente ou l’achat de spécimens de tortues marines » sont strictement interdits sur tout le territoire depuis l'arrêté ministériel du 14 octobre 2005).
Traditionnellement, certaines familles (et mêmes certains villages) interdisaient purement et
simplement la consommation de tortues adultes. Les auteurs relèvent l’étonnant témoignage du plus ancien interlocuteur Kali’na rencontré à Yalimapo. Le vieil homme leur raconta cette anecdote : durant son enfance, et lors d’une partie de pêche, il fut contraint de manger de la viande de tortue luth. S’en suit un empoisonnement, que sa grand-mère fut en mesure de soigner. Cette dernière s’inquiéta d’ailleurs grandement du sort de son petit-fils : il lui fallait soigner le garçon sous peine de le voir souffrir de la lèpre (les auteurs notent le fait que la lèpre était présente à cette époque en Guyane mais ne touchait que très peu les populations Kali’nas ; braver l’interdit de la consommation de viande de tortue luth serait-il à même de provoquer la diffusion de la maladie dans la population kali’na ?).
Une croyance populaire à rapprocher du fait que, parmi toutes les espèces de tortues marines, la tortue luth était la plus respectée chez les populations côtières. Une telle déférence non pas liée à un ressenti quant à la dynamique de l’espèce : si les auteurs notent le fait que les tortues vertes apparaissaient déjà comme en déclin dans les années 70, et que les Kali’nas avaient remarqué ce déclin, il n’en allait pas de même pour les tortues luths. Les Kali’nas ignoraient à cette époque certaines des subtilités de la reproduction de ces animaux, et notamment le fait qu’une même femelle peut revenir pondre plusieurs fois lors d’une même saison. En cela, les Kali’nas surévaluaient les effectifs de tortues luths. C’est donc une espèce qui, du point de vue Kali’na se porte bien, mais qu’ils se gardaient néanmoins de consommer à l’âge adulte. Ce qui est par contre loin d’être le cas pour certaines espèces de tortues terrestres, telles que les tortues charbonnières et denticulées, grandement appréciées, tant pour la consommation que pour le commerce.
Dans la tradition Kali'na les très rares tortues adultes chassées et consommées étaient surtout des tortues olivâtres. Les auteurs relèvent le fait que leur petite taille les rendait plus faciles à transporter ; et si elles n’étaient pas tuées sur place elles étaient « retournées sur la dossière, et transportées ainsi jusqu’au village ». Les œufs, quant à eux, étaient récoltés lors de sorties nocturnes s'étalant sur plusieurs jours, et, vraisemblablement uniquement par les hommes, lesquels installaient des camps en bordure de plage ou de mangrove. Pendant la saison des pontes, le récit original nous narre le fait que les hommes assistent parfois à la ponte elle-même, et récupèrent les œufs ainsi fraîchement pondus.
Le texte nous apprend également que les œufs infertiles sont dédaignés au seul profit des œufs fécondés. Ces derniers étaient ensuite soit consommés sur place crus (en kali'na eto:lipa), soit récoltés dans des « sacs à farine, à la main, ou à même les poches », pour être préparés au village bouillis (ka:po), en omelette (tibi:me), ou boucanés (ka:mbo ka:po) au-dessus d’un brasier.
Les Kali’nas ont appris à reconnaitre les traces de tortues marines sur les plages (ci-contre : trace de tortue luth), et à retrouver les nids à la faveur de la différence de consistance du sable. Une entreprise autrement plus compliquée pour ce qui est des tortues terrestres : les auteurs ont relevé que parmi tous les Kali’nas rencontrés, aucun d’entre eux ne savait où les tortues terrestres pondent leurs œufs !
Notre 3e épisode, ainsi que notre récit, sur cette lointaine rencontre s’achève là ! Et si vous souhaitez en apprendre davantage sur cette aventure, nous vous invitons à jeter un œil à la publication originale (1978) !
A très vite :)
Autres articles disponibles : « Souvenirs Guyanais : les tortues marines dans la tradition culturelle et artistique Kali’na » et « Souvenirs Guyanais : les tortues marines dans la tradition linguistique Kali’na »
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