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Vessies d'acoupas : vers une révolution de la pêche côtière en Guyane ?

Dernière mise à jour : 8 avr. 2020

Par Michel A. Nalovic Crpmem Guyane / WWF & Johan Chevalier

Photos de Johan Chevalier, Michel A. Nalovic

L’acoupa est le poisson le plus pêché en Guyane. Depuis une quinzaine d’années un de ses organes, jusqu’alors rejeté en mer, a pris une incroyable valeur commerciale. Si cette évolution suscite des inquiétudes, elle offre aussi une opportunité exceptionnelle pour la pêche côtière guyanaise.


La vessie natatoire est un organe interne des poissons dits osseux, qui leur permet de contrôler leur flottabilité dans l’eau. Il peut aussi servir à communiquer, voire même à se protéger des prédateurs par l’émission de sons “ sourds” à répétition. Ces vessies peuvent être très développées chez certains poissons, notamment chez l’acoupa rouge. Les vessies natatoires des grands acoupas du monde entier sont prisées sur le marché chinois, à la fois comme met culinaire de luxe servi principalement en soupe, mais également dans la médecine traditionnelle pour régler des problèmes de peau et de fertilité. Face à la demande croissante de ce marché, la pression sur les grands acoupas s’est accrue depuis une vingtaine d’années. Les prix se sont envolés à tel point que les vessies natatoires sont aujourd’hui surnommées « la cocaïne aquatique ». Une saisie de décembre 2018 par les douaniers chinois de 444 kg de vessies de totoaba, la version mexicaine de l’acoupa rouge, importées illégalement, a ainsi été estimée dans certains journaux à une valeur de revente de 26 millions de dollars, soit 58 500 dollars le kilo ! Ce marché particulièrement lucratif des vessies natatoires a engendré un phénomène de surpêche d’abord en mer de Chine, pour le bahaba (Bahaba taipingensis) et plus récemment sur la côte Pacifique du Mexique pour le totoaba ou acoupa de MacDonald (Totoaba macdonaldi). Victimes d’une pression de pêche trop importante, ces deux espèces sont désormais considérées comme en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’IUCN. Les conséquences de cette surexploitation sont également désastreuses pour les autres espèces marines. Ainsi Nolwenn Cozannet du WWF Guyane rappelle que « la pression de pêche sur le totoaba menace indirectement plusieurs espèces marines sensibles en mer de Cortez. C’est notamment le cas du vaquita, l’un des mammifères marins les plus menacés au monde, capturé accidentellement dans les filets de pêche. Depuis 1997, l’espèce a connu une diminution de plus de 92 % de sa population et on n’en dénombre plus qu’une vingtaine aujourd’hui ». Dans la mer de Cortez, la pêche à la vessie a pris une telle ampleur que les gouvernements mexicains et américains avec le soutien des ONG ont développé un programme de conservation afin de tenter de sauver le vaquita et le totoaba. Mais, malgré les moyens considérables mis en œuvre, le déclin du vaquita se poursuit, principalement en raison de la pêche illégale ciblée sur les vessies des totoabas qui perdure.


UN NOUVEL ÉLU : L’ACOUPA ROUGE


Face au déclin des principaux poissons pêchés pour leur vessie natatoire et aux mesures de protection prises pour limiter leur capture, les commerçants chinois ont recherché une espèce de remplacement. Du fait de la taille et des qualités de ses vessies natatoires, le malheureux élu fut l’acoupa rouge. Cette espèce était déjà la plus capturée par la pêche côtière guyanaise et la cible principale d’une flotte de plus de 5 000 navires sur l’ensemble du plateau des Guyanes (du Venezuela à l’état du Pará au Brésil). Au cours des dix dernières années, cette évolution a profondément modifié la pêche en Guyane. Les pêcheurs vendent l’acoupa rouge entre 2, 5 et 3 euros le kilo aux mareyeurs et que le consommateur l’achète frais sur le marché à 6 euros le kilo. Les vessies de ces mêmes poissons se vendent de 50 à 150 €, voire ponctuellement jusqu’à 180 € le kilo « mouillé » en fonction de leur taille et de leur qualité. La valeur de la vessie est devenue supérieure à celle de la chair. Pour certains, il est donc devenu plus intéressant de cibler la vessie plus que la chair du poisson. En effet, pour que le poisson reste frais la durée des coups de filet doit être courte (moins de 4 heures). Ce n’est pas nécessaire pour les vessies qui restent comestibles même si le poisson se gâte. Il est donc tentant pour les pêcheurs de laisser le filet pendant de longues périodes dans l’eau. Si cette pratique de pêche à la vessie peut être lucrative et épargner des efforts et du carburant, elle est aussi particulièrement destructrice pour les poissons et les autres espèces comme les dauphins de Guyane et les tortues marines.


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