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Deux projets de conservation innovants pour la pêche durable en Guyane

Le CRPMEM (Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins) et le WWF (Fonds mondial pour la nature) travaillent ensemble depuis 2005 à la recherche de techniques innovantes pour soutenir les pêcheurs de Guyane dans leur démarche de réduction des prises accidentelles de grand vertébrés marins. Deux nouveaux projets, ARRIBA et PALICA 2, conciliant protection de la biodiversité et développement économique du secteur de la pêche, seront lancés à partir de 2020.


La richesse des eaux guyanaises est constituée d’un nombre important de grands vertébrés marins, dont la Sotalie (Dauphin de Guyane) et trois espèces de tortues marines (la Luth, l’Olivâtre et la Verte), toutes considérées aujourd’hui comme étant menacées. Elles sont en effet mises à rude épreuve par une série d’écueils naturels ou d’origine humaine, comme la pollution plastique (que les tortues ingèrent en grande quantité), ou encore le braconnage. En mer, la plus grande menace est liée à la pêche illégale, qui s'adapte et persiste malgré les efforts de l’État pour tenter de contrôler les ravages de cette activité clandestine. Elle est en effet responsable d’un grand nombre de captures accidentelles de cétacés et de tortues marines, victimes collatérales de filets défiant toute limite imposée par la loi. La pêche légale et locale, malgré ses difficultés de structuration et de rentabilité, pallie partiellement ce problème en occupant la bande côtière et en empêchant ainsi les pêcheurs illégaux de déployer des filets dont les tailles dépassent largement celles autorisées. Les professionnels de la pêche en Guyane restent sensibles aux questions de captures accidentelles et ont affiché leur volonté de développer des pratiques visant à les réduire.


Face à ce constat, le CRPMEM (Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins) et le WWF (Fonds mondial pour la nature) travaillent ensemble depuis 2005 à la recherche de techniques innovantes qui puissent les soutenir dans cette démarche. Bien connue de nos lecteurs, la mise en place du TTED (Trash & Turtle excluder device) en Guyane, qui consiste à installer une trappe de sortie pour les grands vertébrés marins pris dans les chaluts, a su démontrer que l’application d’alternatives était possible. En effet, ce dispositif, dont la totalité des chalutiers crevettiers sont équipés depuis 2010, a permis de supprimer 97% des prises de tortues marines dans les filets de ces navires, alors qu’on estimait qu’ils étaient avant cela responsables de la prise de 1000 tortues environ par an. L’expérience, couronnée de succès, a montré qu’il était possible de déployer des solutions basées sur une solide collaboration entre pêcheurs et conservateurs, pour limiter les captures accidentelles.


Parallèlement, l’approche collaborative dans la science des pêches qui a permis d’enrayer les prises de tortues dans la pêche crevettière, a été adaptée à la pêche artisanale côtière (filets droits dérivants). Depuis 2007, plusieurs études menées conjointement par le CRPMEM et le WWF ont renforcé les connaissances sur la nature des interactions entre la pêche d’une part, et les cétacés et les tortues marines d’autre part. Les captures accidentelles varient selon les zones de pêche, les saisons, les horaires de pêche (jour/nuit) et selon les caractéristiques des filets (flottaison, hauteur du filet, type de matériel). Certaines enquêtes d’ordre sociologique ont aussi permis de mieux cerner la perception qu’ont les pêcheurs et les propriétaires de navires (« armateurs ») vis-à-vis de ces captures. Ces discussions ont ainsi permis d’identifier les opportunités de collaboration avec les différentes communautés de pêcheurs le long du littoral de Guyane. C’est dans ce contexte que les deux organisations ont porté le projet PALICA (Pêcheries Actives pour la Limitation des Interactions et des Captures Accidentelles) en 2017 financé par le Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche (FEAMP). Grâce à une année consacrée à des entretiens avec un large panel de pêcheurs et armateurs volontaires en Guyane, un consensus a émergé autour de quatre innovations techniques qui pourraient réduire le potentiel d’interactions entre les filets de la pêche côtière et les grands vertébrés marins. Une analyse bibliographique a permis de vérifier que les modifications proposées aux pêcheurs avaient déjà porté leurs fruits dans d’autres zones géographiques. L’objectif est désormais de tester les nouveaux prototypes en Guyane, en situation réelle de pêche professionnelle.


C’est précisément l’objectif du projet PALICA 2 qui a été approuvé par le comité attribuant les fonds européens en soutien au développement d’une pêche durable, en janvier 2020. Prévu sur une période de deux ans à partir de 2020, PALICA 2 permettra d’expérimenter le degré de rentabilité des techniques de pêche alternatives envisagées. Les tests effectués porteront sur les différents systèmes de flottaison, ainsi que sur la dimension des filets et les éléments qui les rendent détectables par les tortues marines (couleur des bouées, lumières, etc). À la demande de certains armateurs, les performances de la pêche à la canne seront également évaluées. Enfin, considérant que la réussite des projets de conservation d’espèces en danger passe également par la valorisation de ceux qui font en sorte de la protéger, une série d’activités visant à promouvoir des produits de la mer de Guyane issus d’une pêche éco-responsable sera programmée.


Un projet complémentaire à PALICA 2, nommé ARRIBA (Alerte aux Risques Relatifs aux Interactions Bloquant les Arribadas) et dont le déploiement commencera cette année, portera sur la modulation de l’effort de pêche en fonction des zones et des périodes ciblées. Il concerne spécifiquement la réduction de prises accidentelles de tortues olivâtres, dont le comportement en pleine saison des pontes est très particulier : ces dernières se regroupent au large de l’île de Cayenne, pour se diriger ensuite de façon massive et simultanée pour pondre sur les plages. Les facteurs à l’origine de ces phénomènes d’« arribadas », qui en plus d’accroître le risque de prises accidentelles peuvent causer des dommages sévères sur les filets qui se trouvent en travers de leur chemin, restent pour l’instant inconnus de la communauté scientifique. Le but principal du projet est donc de mettre à contribution l’expertise d’un large panel d’acteurs pour trouver des solutions permettant d’anticiper le déclenchement de ces rassemblements massifs. À ce titre, le CNRS équipera plusieurs tortues olivâtres de balises Argos GPS fastloc qui permettront de définir les zones préférentielles et d’étudier le comportement fin des individus, pour être en mesure de détecter les signaux annonciateurs d’une arribada sur les années à venir. À l’approche d’une vague d’arrivées, un dispositif d’alerte sera enclenché pour permettre au CRPMEM Guyane de signaler aux pêcheurs d’éviter la zone concernée, le temps que les tortues puissent pondre et quitter les lieux. En parallèle, des actions de sensibilisation et de formation auprès des professionnels seront mises en œuvre pour renforcer leurs connaissances sur ces espèces, leur aptitude à les manipuler et à les réanimer lorsqu’elles s’enchevêtrent dans leurs filets.


Notre capacité à concilier les mesures de conservation d’une espèce à un développement économique durable est désormais une condition sine qua non au succès des stratégies de protection de la biodiversité. Ces projets portés par le CRPMEM, le WWF et le CNRS avec le soutien financier de de l’Union européenne et de l’Office français de la biodiversité, transcendent les frontières entre les mondes associatifs et socio-professionnels pour défendre à la fois les intérêts d’espèces menacées d’extinction, et ceux d’une filière économique dont la pérennité est essentielle à la Guyane. La pertinence de ce partenariat inédit réside aussi dans le fait qu’il jette les bases d’une gestion durable des ressources marines à l’échelle locale, pour montrer l’exemple sur le Plateau des Guyanes. Les dispositifs mis en place ne pouvant cependant pas s’appliquer à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), le phénomène de captures accidentelles ne pourra être complètement enrayé sans la poursuite des efforts déployés contre les navires illégaux.

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